« De toute façon, les notes sont complètement aléatoires ! Elles dépendent trop du correcteur. »

    Combien de fois ai-je entendu cette phrase au moment des épreuves du bac de français que je corrige chaque année ? Un reproche qui vient des élèves comme des parents (et même de certains profs dont l’enfant passe le bac et qui, soudainement, ne voient plus l’épreuve du même regard…). Et, ils ont en partie raison.  

   Les disparités de notations existent malgré tous les moyens mobilisés pour harmoniser les critères de correction des copies.

   Après l’examen, un corrigé national est envoyé à tous les correcteurs. Il rappelle précisément les critères à prendre en considération : le respect du sujet, la construction, la justesse des analyses, la qualité de la rédaction… Des consignes sont données suivant les types de copies rencontrées (copies très courtes, absence d’introduction, hors sujet, paraphrase…). Une réunion d’harmonisation est également organisée juste avant que chacun entame les corrections; les correcteurs consultent plusieurs copies tests, ils discutent des critères à retenir et des notes à attribuer. 

   Des efforts importants sont donc fournis pour éviter les aléas, mais il faut croire que cela ne suffit pas. Les réunions d’harmonisation mettent parfois à jour des disparités sidérantes. A partir d’une même copie, les écarts de notes vont parfois jusqu’à 5 points ! Avec un correcteur, vous avez 8, avec l’autre 13 ! ça donne le tournis…

Comment expliquer notre incapacité à harmoniser les critères de notation ?

   Je pense que cette note est au cœur de crispations qui dépassent le seul enjeu de l’examen. La correction est pour l’enseignant un espace où il est souverain ; on ne conteste pas la note d’un correcteur et il faut son accord pour la modifier. Si certains respectent scrupuleusement les consignes officielles, d’autres y voient une occasion de s’émanciper d’une injonction à la bienveillance qu’ils jugent excessive. Ainsi, ils ne manquent pas de sanctionner certaines lacunes jugées inadmissibles au mépris des critères communs.

   En voici quelques exemples :

  • Les corrigés officiels nous invitent à prendre en considération l’orthographe, la syntaxe, la graphie… mais sans sanctionner trop lourdement. Certains correcteurs s’en affranchissent et considèrent que ces copies fautives ne méritent pas la moyenne, quel que soit le contenu.
  • Dans un commentaire de texte, la compréhension des enjeux et la qualité des interprétations doivent être valorisés même si l’analyse est peu développée. Certains correcteurs ne sont pas de cet avis et pénalisent sévèrement le manque de procédés littéraires qu’ils dénombrent méthodiquement.
  • La dissertation sur œuvre conduit certains candidats à plaquer des analyses entières apprises par cœur mais qui sont en marge de la question et parfois même hors sujet. Les corrigés officiels demandent de valoriser ces copies malgré tout – « cela reste un travail de mémorisation nous dit-on » -, certains correcteurs sanctionnent.

   Beaucoup de choses se jouent donc dans cette correction. Les copies mettent en tension l’institution et l’enseignant. D’un côté, l’institution pousse à l’indulgence pour obtenir de bons résultats aux examens et nous maintenir dans l’illusion d’un niveau correct. De l’autre, l’enseignant rechigne à valoriser des copies qui ne maîtrisent que très partiellement les savoirs et savoir-faire qu’il transmet pendant l’année. Cette tension est à vif au moment de la correction, mais – pour une fois – c’est l’enseignant qui a le dernier mot et bien des correcteurs ne s’en privent pas.

   Tous les efforts menés par les inspections académiques pour arriver à réduire ces disparités semblent vains. On en vient donc, après les corrections, à harmoniser les lots en prenant pour seul critère l’écart par rapport à la moyenne académique. Il faut donc arbitrairement relever des lots entiers de copies pour entrer dans la fourchette ! Mais, on ne le fait jamais dans l’autre sens (on trouve pourtant aussi des enseignants qui s’affranchissent des barèmes pour surnoter !).

Comment échapper à ces aléas ?

   Mon propos n’a rien de très rassurant pour ceux qui préparent les épreuves du bac, mais j’ai omis un élément important. Ces disparités sont logiquement plus importantes lorsqu’elles concernent des copies médianes, entre 7 et 14 – des copies difficiles à évaluer. Le seul moyen d’échapper à ces fluctuations, c’est de ne pas donner prise aux « notes sanctions », de se rapprocher de l’excellence. L’excellente copie est lisible, aérée, structurée, bien écrite, orthographiée correctement. L’excellente copie répond précisément au sujet, en expose les enjeux et avance un développement pertinent, argumenté et illustré. Alors, il n’y a plus de débat, tout le monde est d’accord.

   Facile à dire, me direz-vous. Cela fait beaucoup de critères à respecter et seuls quelques candidats parviennent à ce niveau. Je me risque donc à isoler un seul critère qui limitera les aléas du correcteur (je mets de côté l’orthographe et la syntaxe, en respecter les règles élémentaires ne fait pas débat me semble-t-il), un élément fondamental et pourtant trop souvent négligé au profit du bachotage : la sensibilité aux textes littéraires. Les épreuves écrites du bac de français invitent avant tout les candidats à « rencontrer » des œuvres littéraires, à « dialoguer » avec elles. Les copies les plus valorisées, même si elles présentent des maladresses ou des lacunes, sont celles qui montrent une véritable appropriation du texte ou de l’œuvre étudiée.

   On revient toujours à la lecture.

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